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Michel Mercadié quitte la présidence

Posté le 09/12/2024

Fervent militant de la lutte contre la pauvreté en Europe, Michel Mercadié vient de passer le flambeau de la présidence d’Habiter en terre catalane à René Turiaf, tout en restant activement impliqué en tant que Vice-Président. Son parcours d’enseignant, d’homme politique et de dirigeant associatif  illustre la synergie entre engagement personnel et action collective.

Origines de l’engagement et parcours

Comment a commencé votre engagement social ?
Tout a commencé très tôt, durant mes années estudiantines à Paris. Je me suis occupé des jeunes délinquants – qu’on appelait alors les “blousons noirs”. Moi qui venais d’un milieu privilégié, j’ai été profondément marqué par leur réalité. Je trouvais inacceptable de laisser ces jeunes sans accompagnement, sans perspective.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience à l’association Julienne Javel à Besançon ?
Pendant 25 ans, j’ai présidé cette association d’insertion qui a développé des projets vraiment innovants. Nous avons créé une usine de fabrication de logements en bois, les Jardins de Cocagne, et mis en place des dispositifs permettant de réinsérer des personnes très éloignées de l’emploi.

L’arrivée à Habiter en terre catalane

Comment êtes-vous arrivé à Habiter en terre catalane en 2014 ?
C’est d’abord une histoire familiale. Installé à Perpignan, je me suis occupé de la location de l’appartement de mon fils, parti à Nantes. Avant son départ, il avait confié la gestion du logement à Habiter en terre catalane. Et comme j’arrivais à un tournant de ma carrière, après avoir été secrétaire général de la Fédération des acteurs de la solidarité à Paris, j’étais disponible pour m’investir dans une nouvelle aventure associative, tout en restant dans mes domaines de prédilection : le logement et l’insertion.

Quels défis l’association traversait-elle à votre arrivée ?
Il y avait deux associations – la FDPLS* et l’AIVS® – qui devaient se restructurer. Un Dispositif Local d’Accompagnement (DLA) avait conclu à la nécessité d’une fusion. J’ai pris la présidence de la FDPLS à ce moment charnière, et en 2018, nous avons fusionné pour devenir Habiter en terre catalane.

*Fédération Départementale pour le Logement Sociale et Agence Immobilière à Vocation Sociale.

Une stratégie d’ouverture

Comment avez-vous fait évoluer l’association ?
Nous avons constamment cherché à élargir nos publics. Nous avons commencé à accueillir des migrants statutaires*, même non francophones, en leur proposant des cours de français. Nous avons mis en place des cours de soutien scolaire pour des jeunes préparant leur CAP. A chaque fois, nous trouvons des réponses aux besoins de nos locataires. Ce fut également le cas avec une initiation à l’informatique et le prêt d’ordinateurs. Puis nous avons mis en place une aide aux petits travaux, toujours d’actualité.

*Découvrir le témoignage d’Aron.

Quelles innovations avez-vous développées ?
Par exemple, nous avons expérimenté l’accompagnement des jeunes sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance, suite à un rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement. Ces jeunes, livrés à eux-mêmes à leur majorité, ont besoin d’un accompagnement spécifique.

Vision économique et sociale

Comment définissez-vous votre approche de l’économie sociale et solidaire ?
C’est une question de culture. Nous faisons du commerce, mais sans but lucratif. J’ai été expert auprès de la Commission européenne sur l’entrepreneuriat social. Notre objectif est de créer de la valeur sociale, pas du profit.

Quel modèle économique avez-vous mis en place ?
Quand j’ai pris la présidence, nos subventions dépassaient largement notre production. Aujourd’hui, c’est l’inverse : notre production est supérieure aux subventions. Cela nous a permis de gagner en autonomie et en reconnaissance.

Une philosophie de vie

Comment résumeriez-vous votre engagement ?
J’ai toujours privilégié l’action bénévole. Professeur agrégé, je n’ai jamais cherché à gagner plus d’argent. Ma satisfaction était ailleurs : dans l’enseignement, puis dans l’engagement social.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Mes voyages ont beaucoup nourri mon engagement – en Roumanie, au Mali, au Sénégal, au Vietnam avec mes élèves. Toujours avec cette curiosité et ce désir de comprendre l’autre.

Transmission et perspectives

Pourquoi être resté vice-président après votre présidence ?
Ce passage de relais traduit ma volonté de continuer à servir nos missions, tout en permettant un renouvellement nécessaire. Mon expérience peut aujourd’hui servir de socle et d’appui aux nouveaux venus dans le Conseil d’Administration.

Comment voyez-vous l’avenir ?
Continuer à être un partenaire des pouvoirs publics, ces “petites mains” agiles et citoyennes qui peuvent intervenir là où l’État ou le marché traditionnel ne peuvent pas agir. Notre force est notre flexibilité et notre engagement.

Ma conviction profonde reste que l’action sociale doit constamment réinventer ses approches. Après des décennies d’engagement, je reste persuadé qu’on construit une société plus juste par le dialogue, la solidarité et l’inclusion.

Un combat pour le logement social au niveau européen

Votre engagement au Conseil de l’Europe a-t-il été difficile ?
Le travail a été long et complexe. Le logement n’était pas une compétence européenne, et j’ai souvent eu l’impression que nos efforts étaient vains. Les commissions de travail que j’ai intégrées progressaient à un rythme extrêmement lent.

Mais vous avez finalement vu des avancées ?
C’est exactement ça. La mise en mouvement du Conseil de l’Europe est un processus très graduel. Contre toute attente, le logement a fini par faire son entrée comme sujet prioritaire. C’est une première historique ! En 1996, le Conseil de l’Europe a fini par reconnaître le droit au logement dans sa Charte sociale européenne révisée. C’est d’ailleurs l’origine du DALO*. J’ai signé, au nom de la FEANTSA, une plainte contre la France pour non respect de l’article 31 sur le droit au logement.

*Droit aux logement opposable

Comment percevez-vous la récente proposition d’Ursula von der Leyen ?
C’est la concrétisation d’années de travail par des militants comme moi. La création d’un poste de commissaire européen au Logement*, avec un plan pour le logement abordable, représente une victoire. Pour la première fois, l’Union Européenne reconnaît officiellement la crise du logement comme un enjeu continental majeur. C’est la première concrétisation, même s’il faut se battre pour que les plus vulnérables ne soient pas oubliés.

*Dans la continuité du plan européen du logement abordable promis lors de sa réélection le 18 juillet à la présidence de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a proposé le 17 septembre le Danois Dan Jørgensen au poste de commissaire en charge de l’Énergie et du logement. Il a pris ses fonctions ce 1er décembre.

Que signifie cette reconnaissance pour vous ?
Elle valide notre conviction que le logement est un droit fondamental, pas seulement une question économique. Nos combats dans les commissions informelles ont ouvert la voie à cette prise de conscience européenne.

Vision européenne de l’engagement social

Vous avez été expert auprès de la Commission européenne. Comment avez-vous contribué à faire émerger une dimension sociale en Europe ?
L’Europe s’est initialement construite sur un projet économique. Mais j’ai toujours agi pour que l’avenir européen soit social. J’ai fait partie d’un groupe de travail du Conseil de l’Europe à Strasbourg pendant 3 ans sur le logement et l’accès aux droits sociaux. Je me suis également beaucoup investi dans des organisations non gouvernementales pour porter une voix pour plus de justice sociale au sein de l’Union Européenne. A ce titre j’ai participé aux réunions des Ministres européens du logement et été membre d’un intergroupe* “Insertion” au Parlement européen.

*Les intergroupes sont des groupements non officiels de députés et de représentants de la société civile travaillant sur un sujet particulier, qui n’est pas nécessairement du ressort du Parlement européen, mais qui peut intéresser la société dans son ensemble. 

Dans quelles organisations étiez-vous engagé pour faire entendre une autre voix, plus sociale, auprès des décideurs européens ?
Je suis intervenu en tant que Président du réseau européen en faveur des sans-abri (FEANTSA*), en tant que membre du Réseau Européen d’Action Sociale (ESAN) et aussi en tant qu’administrateur et fondateur de la Plateforme européenne de cohésion sociale qui réunit des ONG, véritables interlocutrices sociales de la Commission et du Parlement. 

*Fédération européenne des organisations nationales travaillant avec les sans-abri.

Quels ont été vos principaux combats ?
Notre objectif était de faire reconnaître les Services sociaux d’intérêt général, en les protégeant des seules logiques économiques libérales. C’était un travail de longue haleine : faire émerger une voix citoyenne au sein des institutions européennes, défendre la dignité des personnes les plus vulnérables.

Cette expérience européenne a-t-elle influencé votre vision de l’engagement ? Absolument. Elle m’a conforté dans l’idée que la solidarité ne connaît pas de frontières. Notre combat était de montrer que l’humain ne peut pas être systématiquement sacrifié sur l’autel du profit financier.

A lire

Michel Mercadié est l’auteur de “Une voie sociale pour l’Europe – Emergence et luttes de la société civile organisée – Préface de Pierre MOSCOVICI” paru aux éditions l’Harmattan (2019).

L’Europe s’est construite sur un idéal de paix et sur un projet avant tout économique. Mais l’Europe de demain sera sociale ou ne sera pas. A partir de sa longue expérience de militant associatif du secteur social, Michel Mercadié retrace l’histoire de la Plate-forme sociale européenne, créée en 1995 et représentant aujourd’hui plus de 2800 ONG et associations nationales de toute l’Europe du secteur social. Au travers de cette instance de fédérations d’acteurs engagés sur le terrain pour plus de justice sociale et de dignité pour les personnes les plus exposées ou vulnérables, a ainsi émergé une voix reconnue par les institutions de l’Union Européenne.

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